Un texte signé Philippe Delvaux

États-Unis - 2018 - Panos Cosmatos
Interprètes : Nicolas Cage, Andrea Riseborough, Linus Roache, Bill Duke, Richard Brake

L'Etrange Festival 2018review

Mandy

En 1983, Red Miller, bûcheron taciturne, vit tranquillement avec sa compagne Mandy. Un jour débarque le mystique et charismatique Jeremiah Sand, accompagné d’une bande de hippies fanatiques et de motards inquiétants, qui s’en prend au couple. Ce sera le début d’une vengeance sans pitié.

Déjà réalisateur du très prometteur BEYOND THE BLACK RAINBOW, découvert également à l’Etrange festival, Panos Cosmatos est de retour en 2018 avec cet exercice postmoderne reprenant les codes de la culture pop et bis des années 80 pour mieux les tordre.

Taillé pour le circuit des festivals, des dvd ou de la VOD, il est peu probable que MANDY trouve le chemin des salles sous nos latitudes… Quoique, production partiellement belge, MANDY a finalement été chichement distribué à Bruxelles à l’automne 2018.
Le film brandit son univers référentiel comme d’un atout. Il s’inscrit pleinement dans ce mouvement culturel du millénaire plus si nouveau et qui recycle à n’en plus finir, à tout le moins dans le secteur du 7e art ou de la musique, les codes esthétiques des années ’80. Les exemples sont tellement foisonnant qu’il faudra bien à un moment que l’historien rejoigne le sociologue culturel pour le décoder.

On ne fera pas le tour de la problématique, mais on s’y arrête un paragraphe durant : le geek avait pris le pouvoir. Le voilà qui prend de l’âge et, radotant, sacralise ses années de jeunesse en les réitérant encore et encore dans une sous-culture de plus en plus massive et récurrente. Et ceci conjointement à l’avènement des médias sociaux qui ont rendu accessibles des pans entiers de cette culture eighties. Expliquons-nous : avant les Youtube et consorts, la pérennité et l’accessibilité des œuvres du passé dépendait des réseaux de diffusion. Pour le cinéma, c’était la télévision… mais surtout les médias physiques (VHS puis DVD). Ces derniers rendaient l’œuvre disponible si pas en continuité, du moins dans un laps de temps plus long que l’étroite fenêtre d’une diffusion télévisée ou d’une reprise en salle. Au tournant du millénaire, le peer-to-peer d’abord, la VOD et la diffusion sur les plateformes de contenus vidéo a non seulement redonné de la visibilité à nombre d’œuvres en voie de disparition, mais a surtout rendu celles-ci disponibles en permanence. Les conditions sont dès lors réunies pour freiner l’émergence d’esthétiques nouvelles, ou du moins pour maintenir à flot ou redonner vie à ces formes anciennes redécouvertes par les nouvelles générations. Il n’y a plus qu’à les re-brander comme on dit en marketing. Nous voilà avec des tombereaux de néo giallo, néo slasher, néo buddy movies, neo-tout-ce-que-vous-voulez.

MANDY fait partie du lot. Il est de surcroit signé par un « fils de » : Panos est le fils de Georges Pan Cosmatos… réalisateur de l’époque plagiée (RAMBO II, COBRA).

Mais qu’est–ce que cela vaut ?

On évitera de crier à l’œuvre de génie, on s’abstiendra tout autant de dénigrer !

La tentative est intéressante, l’effort déployé conséquent, le résultat appréciable.

La direction artistique, toute référentielle qu’elle soit, est bien menée. Le spectacle est assuré. La direction d’acteur se montre au diapason. Le spectacle est assuré (bis).

Ceci dit, MANDY se révèle un peu longuet. La faute à un rythme mal géré. D’une durée de 2 heures (là où les séries B matricielles dépassaient rarement l’heure et demi), MANDY traine trop longtemps sur ses scènes d’exposition, dont l’intérêt réside d’ailleurs moins dans la caractérisation des protagonistes (le genre n’a pas besoin de s’étendre sur cette donnée) que de travailler l’esthétique. En d’autres termes, il faut presque une heure pour que l’action démarre. Pas un problème dans un film… sauf justement lorsque celui-ci ressort au rape & revenge. C’est bien de faire vivre le couple, notre empathie n’en sera que plus forte à l’égard du vengeur… mais à un moment, il faut passer à la seconde partie. C’est donc la limite majeure du film.

La vengeance, une fois enclenchée, est cependant fort plaisante. Enfin, pour le spectateur. Vu que pour les malandrins (oui, le terme est volontairement désuet), ça va charcler sévère. Cage est vener et d’aucuns vont prendre cher. Badaboum, on a franchi le rubicond, la partie revanche enclenche la baston non-stop ou on varie les niveaux, les lieux, les armes sur une structure qui ne déparerait pas dans un jeu vidéo, concluant dans l’antre du « big boss », un très bel édifice pyramidal. La vengeance à la « eighties » déploie tous les avantages et les tares du ciné de ces années-là. Le héros forge ainsi sa propre arme – un armement clairement iconique (hache, arbalète où une tronçonneuse située entre MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE et EVIL DEAD III).

Le résultat global n’est pas pour autant pleinement abouti. L’usage surabondant de filtres bleus et rouges, tout référentiels qu’ils soient, commence à se voir un peu trop souvent dans le ciné de genre « référentiel ». L’idée s’épuise. On glisse vers le tic.

Nicolas Cage est un acteur à qui on reproche parfois de trop en faire. Ici, au contraire, le surjeu est un atout puisqu’il découle même du type de direction d’acteur visée.

On peut voir aussi MANDY comme parodiant la mythologie grecque avec son héros (barbu) descendant aux enfers rechercher sa bien-aimée et devant vaincre une série de monstres (les chiens de l’enfer entre autres, incarné par des motards qu’on croirait sortis d’un HELLRAISER). Une hypothèse non pleinement farfelue au regard de l’ascendance du réalisateur. Le travail sur le décor semble en outre nous conforter dans cette hypothèse : la carrière finale convoque l’imagerie de l’enfer. Le héros est d’ailleurs invincible, en dépit de clous dans les mains, de poignets cisaillés, de couteau dans le ventre (là, on se rapproche cependant plus des stigmates christiques). Quelques références à Jupiter, Saturne et la forge qui évoque Vulcain finissent d’asseoir le référentiel mythologique.

Le film a été réalisé en Belgique, pour de beaux décors dans de sombres forêts. Le budget qu’on devine serré a essentiellement dû servir aux cachets des acteurs, les décors étant pour leur part limités et utilisent au mieux des sites naturels.

Quelques passages animés nous renvoient aux meilleures heures de Metal Hurlant. Et les clins d’œil aux années ’80 continuent encore via d’assez rigolotes fausses publicités (le « Goblin Cheddar ») ou les séries Z ou même ce porno regardés sur une tv par les protagonistes.
Pour une fois, la nudité frontale est masculine. C’est peu courant. Beau point aussi pour le casting féminin. Dans le genre, on s’attend souvent à de jeunes femmes et de superbes créatures. Ici, la production a osé un premier rôle féminin plus mûr qui dégage une impression assez inquiétante. Un choix judicieux et qui fonctionne bien dans l’image globale.

MANDY est un film qu’on voudrait vraiment aimer, qui se montre d’ailleurs très fun dans sa 2e partie, mais qui reste lesté par ses longueurs initiales. On lui fait cependant confiance pour capter un public, comme en témoigne sa présentation en salle comble (salle « 300 ») à l’Etrange festival 2018 ou sa sélection au Razor Reel film festival en novembre 2018 en Belgique.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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