Un texte signé Philippe Delvaux

Allemagne - 2011 - Andréas Marshall
Titres alternatifs : Audition for death
Interprètes : Norbert Losch, Magdalena Ritter, Susen Ermich, Franziska Breite, Jan-Philipp Jarke

Paris International Fantastic Film Festival 2011review

Masks

Jeune actrice peu douée, Stella enquille les échecs aux auditions, jusqu’à ce qu’un metteur en scène, sentant un potentiel encore à développer, lui conseille de peaufiner sa formation dans l’école d’art dramatique de Matteusz Gdula, qui pourra révéler son talent latent (après tout, « Stella » signifie bien « étoile »). Une inscription plus tard, la voici arpentant les planches de la vieille et immense demeure où l’on transmet un enseignement hérité du maitre disparu trente ans plus tôt. Pour tout dire, les méthodes très peu orthodoxes de Gdula ont causé la mort de quelques étudiants et son suicide, l’école faisant depuis profil bas et revenant à un enseignement plus traditionnel. Assez mal accueillie par ses condisciples, Stella se lie pourtant d’amitié avec Cécile, une des seules à lui témoigner de l’attention. Très vite, elle sent que l’école cache quelques secrets. Et le moindre n’est pas l’enseignement spécial que suivent certains initiés triés sur le volet et qui ont accès à la partie interdite de l’école. Ambitieuse, Stella brule d’y accéder, quitte à en payer le prix fort.

Auréolé de plusieurs prix glanés ici et là dans divers festivals de fantastiques, MASKS semble bien parti pour s’auréoler des lauriers du film culte, par la grâce des figures tutélaires du giallo. Son générique ne s’en cache d’ailleurs pas et paie tribut à la sainte trinité de Mario Bava, Sergio Martino et Dario Argento.

Et des trois, c’est ce dernier qui couve de son ombre le projet MASKS, lequel n’est en effet rien d’autre qu’un remake (si peu) déguisé de SUSPIRIA. A dire vrai, on pourrait presque parler de plagiat tant l’hommage est appuyé. Mais l’original étant un chef d’œuvre et avatar des plus agréables, on ne fera pas la fine bouche. Marschall est plus disciple que simple épigone.

En ces temps de remakes effrénés de tout film de genre des années ’70 et ’80, on doit s’interroger à chaque fois sur l’intérêt de la relecture. Elle peut simplement remettre le film au gout du jour. Point de ça avec MASKS, celui-ci s’acharnant de façon quasi fétichiste à recréer la direction artistique d’époque de SUSPIRIA, que ce soit via les décors ou par le biais d’une photographie elle aussi tout en rouge et bleu. Et autant le reconnaitre, l’élève a bien copié le maitre, MASKS est visuellement très beau. Un remake peut aussi faire varier l’intrigue. C’est le cas ici, mais seulement aux marges. Les grandes lignes narratives de SUSPIRIA se retrouvent dans MASKS, aussi bien que nombre de détails, mais ce dernier trouve cependant ses marques propres en abandonnant la dimension purement fantastique du final argentesque. Enfin, un remake peut chercher à donner un sens nouveau à une histoire précédemment filmée. SUSPIRIA se voulait une œuvre pure, de l’art pour l’art. Son visuel en était la thématique propre, se suffisant à elle-même. MASKS cherchera donc une autre voie, nourrissant le film d’une intention discursive sur le statut de l’acteur. Son climax reste en accord avec l’intention métaphorique du film : tel le vampire avec le sang, l’acteur se nourrit d’émotions pour atteindre par son art l’éternité.

Ainsi, au gré de l’intrigue, on entendra mentionner Lee Strasberg (à qui l’Actors studio doit sa renommée) ou Jerzy Grotowski (le grand théoricien du théâtre… polonais, tout comme Gdula). En transparence, bien qu’il ne soit pas cité, on pourrait ajouter le nom du théoricien Constantin Stanislavski. Dans le name dropping qui parsème MASKS, on relève encore celui du psychologue Arthur Janov. Ce mélange entre les méthodes théâtrales privilégiant l’acteur qui nourrit son personnage de ses émotions (Strasberg), celle du Théâtre Pauvre qui évince décors ou effets de mise en scène au profit du seul acteur non grimé (Grotowski) et les thérapies primales de retour vers les premiers stades de la conscience (Janov) définit la délétère « méthode Gdula » secrètement enseignée dans notre école d’art dramatique. Qu’on se rassure, nul besoin de connaitre lesdites théories pour apprécier MASKS, l’intrigue se chargeant de les illustrer.

Et il est piquant de voir un film si chargé dans ses décors et sa photographie discourir sur l’art pauvre de Grotowski. C’est peu dire qu’on se trouve presque à son antithèse. A l’instar de SUSPIRIA (encore une fois), MASKS ne se signale pas par l’espace accordé à ses acteurs, même si la prestation de Susan Ermich dans la peau de Stella a ému le jury du festival Fright Night qui lui a décerné le prix de la meilleure actrice.

Par contre, “l’art pauvre” définit assez bien ce projet de MASKS, lequel a été monté presque sans budget aucun, tourné dans une école d’acteurs avec les étudiants. Le résultat force le respect.

A propos de piquant (bis), on ne résiste pas au plaisir de citer les propos du réalisateur, recueillis en 2004 par nos confrères de DevilDead, alors que celui-ci présentait au BIFFF son précédent film, TEARS OF KALI : « j’adorais regarder les films d’horreur italiens, Fulci et Argento par exemple… J’étais réellement fasciné, les films d’Argento étaient vraiment très différents de ce qu’on pouvait voir à l’époque. (…) Et, d’un autre côté, je ne voulais pas exactement faire la même chose, copier ces films. »

La méthode Gdula n’est pas sans évoquer toutes les expériences artistiques tentées dans les ’60 hippies ou dans les ’70 de la drogue. Certains films d’époque se sont fait l’écho de ces tentatives, ne citons que DYONISUS (Brian de Palma, 1970).

On l’a dit dans d’autres chroniques, le Giallo italien ne cesse plus de se réinventer… hors des frontières transalpines : AMER et bientôt L’ÉTRANGE LUEUR DES LARMES DE TON CORPS (Forzani & Cattet), BERBERIAN SOUND STUDIO (Peter Strickland), les films de François Gaillard, Christophe Robin ou encore Marc Dray… MASKS en est donc la déclinaison allemande. Quoi de plus normal, SUSPIRIA se passait également en Allemagne (plus précisément, à Fribourg). Le film d’Andréa Marschall décline fidèlement le cahier des charges du genre, avec caméra subjective de l’assassin, meurtre à l’arme blanche, passage gore, mains gantées… Et si les Goblin ne sont pas de la partie, la musique de Sebastian Levermann et Nils Weise les remplace parfaitement.

Le film n’est cependant pas exempt de défauts : les meurtres sont parfois un peu gratuits et certains personnages ne sont créés que pour être tués quelques minutes plus tard. Mais après tout, les giallos de la grande époque souffraient de pareils problèmes.

Film de niche, MASKS a connu une impressionnante carrière en festivals spécialisés avant une sortie dvd.

En France, il a triomphé (Prix Ciné+ et prix du public) au Festival du Film Fantastique de Paris (PIFFF) 2011. En Belgique, on l’a découvert au Razor Reel Festival de Bruges.

En l’état, sauf si vous êtes rétifs aux relectures déférentes du passé, MASKS est un bon exemple de Néo Giallo qu’on conseillera à l’amateur de genre. Outre sa très bonne facture technique, il a pour lui d’avoir nourri son intrigue d’une intention discursive traitée avec à-propos.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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