Un texte signé Paul Siry

URSS - 1985 - Elem Klimov
Titres alternatifs : Idi i smotri, Va et regarde
Interprètes : Aleksey Kravchenko, Olga Mironova, Liubomiras Lauciavicius, Vladas Bagdonas

Hallucinations Collectives 2013L'Etrange Festival 2011retrospective

Requiem pour un massacre

En 1943, dans la campagne biélorusse, Fliora, un jeune adolescent, quitte son village natal pour s’engager chez les partisans. Ignorant l’ennemi et la guerre de par son âge, il va traverser un chemin de croix qui bouleversera profondément ses valeurs humaines.

Initialement, Elem Klimov voulut le titrer « Tuer Hitler » en ne désignant pas Adolf mais le Hitler qui est en nous. Déconseillé par la production car le nom du dictateur aurait été trop peu vendeur, le film fut titré IDI I SMOTRI, en référence au chapitre 6 de l’Apocalypse selon Saint Jean. Repris littéralement VA ET REGARDE pour la sortie en salles en France, le film sera ensuite vendu sous le titre REQUIEM POUR UN MASSACRE en France, d’abord en VHS par l’éditeur Choc, puis en DVD par Potemkine.

Inspiré des propres souvenirs du réalisateur qui apporte ici son témoignage, le film retrace le parcours du jeune Fliora qui découvre l’horreur humaine en pleine guerre. Après avoir quitté sa famille, il rejoint un groupe de partisans et rencontre une jeune fille nommée Glasha avec qui il noue une relation d’amitié. Le film évolue avec l’arrivée progressive de l’ennemi. Entièrement du point de vue de Fliora, l’opposant est d’abord montré par un avion, haut dans le ciel. C’est par la suite que les premières attaques arrivent avec des bombardements et des tirs à balles traçantes. Un village est ainsi retrouvé massacré. Les sentant de plus en plus proches mais toujours invisibles pendant longtemps, le film prend son véritable climax par l’apparition des soldats allemands, et marque un véritable tournant moral pour son personnage principal et le spectateur.

Projeté au festival Hallucinations Collectives 2013, et tourné en 4/3, le film dégage la véritable puissance du cinémascope. Nous donnant une profondeur de champ où l’on voit le paysage et l’horizon au-dessus d’un visage, on ressent toute l’oppression des personnages dans cet environnement isolé, ne montrant aucun autre signe de vie que la barbarie présente. En prenant l’unique position de Fliora, la nature cache l’ennemi et représente constamment une menace en elle-même. Les attaques se font de plus en plus proches, et l’atmosphère de plus en plus pesante. Les actions peu perceptibles et environnantes sont inconnues pour le jeune garçon. Ainsi l’ambiance en est à la fois mystérieuse et fantastique. Dans ce climat inhabituel iconisé, on découvre avec Fliora des images peu compréhensibles au premier abord. Un épouvantail d’Hitler, des tirs à balles traçantes tuant une vache, son village retrouvé sans vie, autant de choses insoupçonnées pour le personnage central. C’est avec la vraie découverte de l’ennemi que le film marque le point de non-retour pour Fliora.

Le réalisme est très présent dans REQUIEM POUR UN MASSACRE. Le tournage ne manque d’ailleurs pas d’authenticité. Bombardements et tirs réels sur animaux, véritable traversée du marais où l’acteur se débat pour ne pas se noyer, le film va jusqu’à faire apparaître de réels survivants des brasiers de l’époque. Le spectateur a beau connaître les faits historiques, c’est une redécouverte de par son angle de vue rare. Le moment du massacre est le plus intense du métrage. La violence se fait frontale et, tourné à hauteur humaine, le film est d’une immersion rarement éprouvée dans un film de guerre. Renforcée par le point de vue interne, l’immersion nous fait ressentir ce massacre de façon viscérale et nous fait témoin, d’une certaine façon, des évènements. Le temps semble s’arrêter quelques instants pour s’attarder sur certaines victimes, allemandes et biélorusses, et filmées en gros plans, montrées comme témoins. Comme les souvenirs du réalisateur décrits par lui-même, le film prend une tournure faisant clairement référence à l’Apocalypse, depuis massacre en lui-même jusqu’à la notion de témoignage.

Il y a clairement deux parties dans ce film : avant et après le passage de l’ennemi. Et de nombreuses images marquantes se trouvant au début ont leurs doubles par la suite. C’est tout d’abord avec un plan magnifiant de jeunes enfants au début du film. Ils sont ensuite représentés, dans un plan similaire, par leurs jouets couchés sur le sol pour suggérer leur mort. Quand Fliora voit, pour la première fois, les soldats allemands, qui n’étaient jusqu’ici représentés que par leurs actes, ce sont les ressemblances avec les partisans qui sont mises en avant. Les expositions des deux groupes présentent les mêmes caractéristiques. Et celles des partisans en début de film trouvent donc leurs équivalents chez l’autre groupe. La tenue, les moyens, la prise d’une photo de groupe, la camaraderie… Autant de ressemblances qui créent la confusion chez Fliora et bouleversent ses valeurs humaines. Suite à ça, celui-ci comprend les enjeux et l’ampleur de la cause des partisans, et sa traversée dans la guerre en est totalement différente. Ce trouble ira jusqu’à faire, pour le spectateur, un parallèle entre un Fliora au visage décomposé et un Hitler enfant qui prend vie par un montage qui explicite une certaine ressemblance faciale.

REQUIEM POUR UN MASSACRE est un film incroyablement abouti sur les thèmes de la complexité et de la barbarie humaine, avec un réalisme écrasant tout autre film de guerre, et une narration interne de son personnage hallucinante. Tout le film et l’évolution de ce dernier se suivent avec l’image. De part ce récit visuel, il est difficile de le raconter à ceux qui ne l’ont pas vu. Avec le langage cinématographique et sans recours à des dialogues pour épauler le fond, le film est peu facile à décrire et est un très grand exemple de la puissance des images, irremplaçable même par des milliers de mots. Un coup de poing rare que l’on ressent de façon viscérale avec des images à voir absolument au cinéma.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Paul Siry

- Ses films préférés : Requiem pour un massacre, Mad Max, Ténèbres, Chiens de paille, L'ange de la vengeance


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link