Un texte signé Claire Annovazzi

Danemark, Suède - 2011 - Lars von Trier
Interprètes : Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland, Alexander Skarsgård, Charlotte Rampling, John Hurt

Dossierreview

Melancholia

Justine se marie. Elle a tout pour être heureuse: son époux est fou amoureux d’elle; sa soeur et son beau-frère lui ont organisé une cérémonie de rêve; son patron lui annonce sa promotion pendant le dîner… Et pourtant, au fil de la soirée, Justine va petit à petit s’enfoncer dans la dépression, délaissant son mari et ses invités, fuyant la fête, cachant son désespoir dans les coins les plus isolés.
Pendant ce temps, la planète Melancholia se dirige peu à peu vers la Terre, se préparant à la percuter et à la détruire au terme de sa danse de la mort…

Lars von Trier est un artiste. Qui oserait en douter en regardant sa filmographie? Comme tout artiste, il fonctionne par périodes, généralement en trilogies.
Il a commencé il y a presque trente ans avec son cycle en E (ELEMENT OF CRIME, 1984, EPIDEMIC, 1987, et EUROPA, 1991) qui mettait en scène des visions diverses de l’Europe. Ont suivi ses portraits de femmes (dont DANCER IN THE DARK, 2000) et ses essais d’un cinéma artificiel et sans décor (initiés avec DOGVILLE en 2003).
Personne ne peut oublier qu’il est également à l’origine du Dogme, courant cinématographique qui prône un retour au réalisme en refusant les artifices de mise en scène, de tournage et de montage.
Il est constamment dans l’expérimentation, à la recherche de nouvelles manières de s’exprimer.

Ainsi, il a commencé un nouveau cycle quand il a réalisé ANTECHRIST (2009). Film à chapitre, celui-ci abordait la lente descente aux enfers d’une femme qui a perdu son enfant, soutenue par son mari qui finissait par découvrir qu’elle n’était pas celle qu’il croyait.
MELANCHOLIA est dans la droite ligne d’ANTECHRIST. Tous deux sont des films de genre: quand ANTECHRIST était la vision de Lars von Trier d’un film d’horreur, MELANCHOLIA est plus proche de la science-fiction, puisqu’il décrit la fin du monde.
Mais à chaque fois, le genre est un prétexte. Ce qui intéresse le réalisateur, c’est d’explorer ses personnages. Ici, comment réagissent Justine et sa soeur Claire à l’approche de la destruction de leur planète.

Nous avons tout d’abord Justine, frappée de mélancolie – dans l’acceptation la plus ancienne du terme, comme un passage en temps de crise qu’il faut surmonter. En effet, si nous voyons la jeune femme perdre peu à peu tout ce qui pourrait la rendre heureuse au cours d’un mariage-catastrophe, ce n’est que pour mieux la voir sortir la tête de l’eau dans la deuxième partie du film. Et ce qui lui permet de reprendre pied, c’est la fin proche de toute vie sur Terre. Elle accepte son destin et en sort plus forte.
Pendant ce temps, Claire, qui semblait si stable, s’enfonce dans sa psychose, incapable de faire face à la situation. Elle finit par se reposer sur sa jeune soeur qu’elle a tellement tenté de couver et de protéger.

Autre point commun entre les deux films: une séquence d’ouverture époustouflante sur fond de musique classique.
Dans ANTECHRIST, le réalisateur ouvre sur le drame à l’origine du film: la mort de l’enfant, dans un superbe ralenti en noir et blanc, orchestré par le Lascia ch’io pianga de Handel.
Dans MELANCHOLIA, il préfère conclure le film dès les premières images. Toujours au ralenti, en Phantom HD et cette fois-ci porté par Wagner, Lars von Trier nous propose des espèces d’instantanés en mouvements, des visions fantasmées de cette fin du monde si proche, jusqu’à la collision fatale, mettant ainsi fin au suspense dès les premières minutes du film: oui, la Terre va disparaître, passons aux personnages et à leurs réactions. Et pour mieux nous replonger au coeur de son histoire, le reste du film est tourné caméra à l’épaule, en plans mouvants et tremblotants, toujours au plus près des acteurs.

Enfin, comme un clin d’oeil à ceux qui auraient vu le premier film, Lars von Trier insère à plusieurs reprises de courtes scènes pendant lesquelles les personnages ne parviennent pas à traverser un petit pont qui enjambe un cours d’eau, sans donner d’explication à cet obstacle. On peut bien sûr y voir l’enfermement des personnages, leur incapacité à échapper à leur destin. Mais on peut aussi se souvenir du symbole du cours d’eau à franchir dans ANTECHRIST, qui se révélait être une sorte de moment clé dans la narration.
Aucun doute, Lars von Trier est un artiste qui aime s’autoréférencer.

De son côté, le casting est impeccable.
Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg, magnifiques toutes les deux, interprètent ces soeurs au coeur de la tourmente. A coups de pinceaux légers, l’une se décompose pendant que l’autre reprend des forces, le visage des deux femmes un réceptacle parfait pour toutes les émotions que Lars von Trier veut explorer.
Les personnages masculins ne sont pas en reste, Kiefer Sutherland et Alexander Skarsgård en tête. Etonnamment, le réalisateur a confié aux hommes des rôles de faibles, même quand ils ont l’apparence de la force.
Une galerie de seconds rôles épatants complète le tableau: Charlotte Rampling en mère égoïste et amère, John Hurt en père-copain, finalement un grand enfant qui refuse les responsabilités, Stellan Skarsgård en patron tyrannique et enfin, l’éternel Udo Kier, qui apparaît dans la plupart des films de Lars von Trier, en organisateur de mariage pédant et rancunier.

A n’en pas douter, MELANCHOLIA est un film d’auteur. Il démontre l’imagination de Lars von Trier et sa capacité à innover, à bouleverser sans cesse le cinéma.
Mais c’est aussi un beau film de science-fiction. Certes, on n’y trouve aucun décor futuriste – au contraire – mais il traite néanmoins d’un thème cher au genre, la fin du monde. Et s’il le fait en plantant dans la tête des spectateurs le germe du questionnement, quoi de mieux? Parce que vous, vous feriez quoi à la place de Justine et Claire?


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- Article rédigé par : Claire Annovazzi

- Ses films préférés : Une Balle dans la Tête, Fight Club, La Grande Bouffe, Evil Dead, Mon Voisin Totoro


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