Relaxer – fin du monde sur canapé
Joel Potrykus est un réalisateur qui mérite votre attention compte tenu des sujets originaux de ses films. Ceux-ci aiment mettre en exergue des personnages marginaux… Un petit criminel dans Buzzard, un ermite dans The Alchemist Cookbook… Dans Relaxer, c’est cette fois-ci un hardcore gamer qui se retrouve sur le devant de la scène.
Abbie est un hardcore gamer, c’est-à-dire un joueur pratiquant le jeu vidéo comme un défi. Il connaît par coeur les jeux auxquels il joue et tente constamment à battre ses records. Naturellement, il s’ingénie à terminer les jeux ainsi que toutes les missions principales et secondaires.
Si Abbie cherche à gagner au jeu vidéo, dans la vie, c’est un loser. Il vit sur le canapé de son frère Cam. Il passe là ses journées à tenter de relever, sans succès, des défis vidéos ludiques. Excédé par cette médiocrité, Cam le motive en l’humiliant constamment.
À bout de patience, il lance un dernier défi à Abbie : Battre le niveau 256 de Pac-Man. Deadline : la fin du millénaire qui interviendra dans quelques mois. Et, bien sûr, interdiction de quitter le canapé tant que le challenge n’est pas atteint.
Sorti dans les salles d’arcade en 1980, Pac-Man est un monument du jeu vidéo. Le principe est simple : Pac-Man doit manger des pastilles dans un labyrinthe tout en évitant les fantômes qui le poursuivent. Une fois tous les points engloutis, le joueur passe au niveau suivant.
Le niveau 256 que tente de battre Abbie est bien connu des amateurs. Enfin les vrais, pas ceux qui jouent sur un téléphone portable. Mythique, il présente un bug non négligeable dû aux limitations graphiques de l’époque… La moitié de l’écran devient illisible, affichant de façon chaotique un tas de chiffres et des lettres. Il est impossible de jouer dans ces conditions. Par conséquent, le défi que doit relever Abbie est tout simplement impossible.
Une incongruité, à l’image de la vie grotesque que mène Abbie sur ce canapé qui n’est même pas le sien.
Inflexible comme son héros, Relaxer ne dévie pas d’un poil et reste accroché à Abbie sur son sofa. L’action est simplement rythmée par les visites des amis du garçon qui lui apportent de quoi se sustenter en lui débitant des conseils absurdes. À un autre moment, lors d’une scène surréaliste, une entreprise intervient pour pulvériser des produits chimiques mettant en danger la santé du héros qui, imperturbable, ne bouge pas d’un iota.
Ainsi Relaxer est une excellente illustration de la névrose d’échec, un comportement de nature inconsciente dans lequel l’individu s’organise de telle façon qu’il ne pourra jamais parvenir à ses fins, même lorsque les projets semblent pourtant réalisables.
Le héros blafard et maigrichon sur son vieux canapé est tout sauf sexy, à la poursuite d’un objectif qui nous échappe de par son aspect aberrant, en passant par la vieille sueur qui ruisselle sur son torse maigrelet, la crasse, l’odeur du lait caillé que l’on sent jusque dans notre salon, tout cela n’a franchement rien de bien séduisant. Les cinéphiles en quête d’OVNI cinématographique qui n’ont pas peur à la vue de litres de vomi expulsés s’avoueront fort probablement séduits par le film de Joel Potrykus qui n’a vraiment rien, mais alors vraiment rien du tout à voir avec du cinéma mainstream.
Par ailleurs, l’échéance de l’an 2000 s’approchant, les choses prennent une tournure surnaturelle. Une sorte de fin du monde s’annonce à l’extérieur, Abbie agit de plus en plus comme s’il organisait son propre anéantissement.
Néanmoins, tout comme Abbie, nous restons figés sur notre canapé, curieux de connaître la destinée de notre héros, tout aussi hypnotisés qu’Abbie par l’Insondable, l’étrange, le grotesque, mais sans jamais connaître l’ennui.
