Un texte signé Patryck Ficini

France - 2007 - Laurent Courau

horizons

Vampyres

VAMPYRES est un documentaire long-métrage qui fait suite au livre déjà publié par le cinéaste Laurent Courau en 2006 chez Flammarion. Comme son titre l’indique, il porte sur les vrais vampires, avec un Y à la place du I, pour les distinguer des suceurs de sang de fiction comme Dracula. Généralement considérés comme faisant partie d’une mouvance gothique, le film nous les montre sous un autre jour en choisissant de planter ses caméras au coeur des pires quartiers de New-York, haut lieu du vampyrisme moderne. Contrairement à l’image erronée (ou caricaturale) que l’on s’en fait généralement, on y découvre un culte, si tant est qu’on puisse le définir ainsi, intensément pratiqué par des Noirs et des Porto-Ricains. On est loin du cliché, peut-être européen, du petit gothique blanc issu des classes moyennes opposé aux rappeurs de couleur et de banlieue défavorisée. A New-York, les cultures semblent davantage mêlées. On peut parler peut-être d’un vampyrisme multiethnique.
Laurent Courau montre, et c’est intéressant, combien les vampyres d’origine modeste, qui vivent dans des quartiers très difficiles, ont su récréer un univers à leur convenance, qui leur permet en quelque sorte de s’élever au-delà des tristes aléas d’une réalité souvent sordide – sans pour autant verser dans la délinquance, comme d’autres.
VAMPYRES est un bon documentaire, qui ouvre sans préjugés des portes habituellement soigneusement closes. A vrai dire, les bonus (1 H 30 !) sont encore plus passionnants que le film, notamment les entretiens avec Laurent Courau et Lukas Zpira, co-auteur. Peut-être parce que les conditions de tournage déroutantes sont plus riches encore que le produit fini. Courau explique par exemple, entre mille anecdotes, que l’underground new-yorkais comporte différentes strates pour qui veut s’y plonger. Un monde où tout serait possible, même les « blood bars » des années 70.
On sent que le monde des vampyres, qui tourne autour de l’occultisme mais aussi de la musique ou des modifications corporelles, est profondément fermé et mystérieux. D’ailleurs, malgré les 3 heures du DVD (bonus compris), force est de constater que l’on reste sur sa faim –ou sur sa soif. On en sait un peu plus mais pas tellement. Cela laisse une impression bizarre, de quête inachevée. En même temps, peut-être est-ce mieux ainsi, et de toute façon le simple amateur de fantastique et d’épouvante aurait-il envie d’en savoir plus ?
C’est malgré tout avec intérêt que l’on suit Laurent Courau dans son périple new-yorkais (voire international puisqu’on passe par la France et le Japon). On y rencontre des créatures originales comme Lord Xanatos, expert en arts martiaux, Father Sebastiaan, père au début des années 90 de la nouvelle scène vampyre, ex-rôliste devenu faiseur de crocs renommé, ou encore l’intellectuelle Michelle Belanger, au discours assez profond. Des personnages au look étudié, au caractère trempé, qu’il serait stupide de dévaloriser. C’est en effet avec une saine curiosité, comme Laurent Courau, qu’il faut aborder la découverte de cet univers, avec des lois et des rituels dont certains pourraient se moquer. Le vampyrisme mérite autant le respect que tout choix sexuel ou philosophique, puisqu’il fait un peu songer à tout cela à la fois. Même si l’on pourrait aisément n’y voir qu’un phénomène de mode un peu rebelle…
Encore une fois, il est fascinant de voir comment des gens visiblement lassés de notre monde tragiquement banal ont su s’en inventer un autre. L’influence du jeu de rôles Vampire : La Mascarade semble palpable chez certains vampyres (Father Sebastiaan), tout comme celle de films comme GENERATION PERDUE, BLADE ou LES PREDATEURS (les fameuses ankh gothiques viennent peut-être des vampires égyptiens de cette oeuvre esthétique de Tony Scott) . C’est un peu comme si la réalité s’inspirait de la fiction.
Laurent Courau traite son sujet avec passion. On est très loin de ce qu’un journaliste de média tout public pourrait faire avec le sujet – un reportage affreux pour effrayer les mères de familles. Courau cherche vraiment à comprendre et à nous faire partager les conditions d’un tournage pas toujours facile. Peu de sensationalisme, même si un rituel de sang explicite pourra choquer. A propos, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, nombre de vampyres semblent ne pas boire de sang – et pour les autres, cela paraît ne se faire qu’en des occasions très particulières. Les plus intolérants auront beau jeu de condamner le mouvement tout entier en le rabaissant au rang de la pratique à risque et de la simple perversion sexuelle. Et pourtant, à bien y réfléchir, quelle différence entre le sang et d’autres fluides corporels comme la salive, le sperme ou les sécrétions vaginales qui font phantasmer la plupart des gens (tout en les dégoûtant aussi parfois selon le contexte) ? Le sang et le sperme sont deux symboles de vie, qui peuvent aussi hélas transmettre la mort . Le vampyrisme semble être, entre autres choses, une façon différente de vivre sa sexualité entre adultes consentants.
On se gardera donc bien de juger ces vampyres à l’aune de nos propres valeurs. Ils sont, certes, bien différents du fan de la Hammer ou des UNDERWORLD ! Sans pour autant forcément partager ses fascinations esthétiques, ses phantasmes et ses obsessions, il faut prendre cet univers ténébreux pour ce qu’il est, et non pour le miroir de nos propres peurs.


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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