Un texte signé Philippe Delvaux

Japon - 1983 - Masaru Konuma
Titres alternatifs : Joshû ori, The Prison Heat
Interprètes : Mina Asami, Nami Matsukawa, Shigeru Muroi, Ryoko Watanabe, Hitomi Yuri

retrospective

Female prisoner : caged

Dans un établissement pénitentiaire, la rebelle Masayo rêve d’évasion et de son amant Tatsuo, au grand plaisir des matrones et de la directrice qui, pour tromper leur ennui, rabrouent toute velléité contestataire. Masayo fraie avec la jeune affabulatrice Miwa et quelques compagnes mais devra affronter la bande rivale de Saeko.

Le Woman in Prison, sous-genre de l’érotisme sadique, a fait flores au cinéma du début des années ’70 (ses canons ont été définis par le 99 FEMMES de Jess Franco en 1968) jusqu’au milieu des années ’80. Il s’est par la suite perpétué jusqu’à nos jours dans le direct-to-vidéo. Sa déclinaison asiatique a trouvé sa source tant dans les productions Philippines à succès de Jack Hill (THE BIG DOLL HOUSE, THE BIG BIRD CAGE) que dans quelques ancêtres japonais des ’60. Si la série ABASHIRI PRISON se concentre sur l’après incarcération de gangsters, le SECRET REPORT FROM A WOMAN PRISON produit par la DAEI en 1967 se rapproche déjà plus du genre, en le traitant cependant dans le cadre d’un film en costumes, à l’instar des productions sadiques de la série des FEMMES CRIMINELLES de Teruo Ishii. Mais le véritable envol du WIP japonais réside évidemment dans la série LA FEMME SCORPION dont les premiers opus transcendent le genre pour en livrer la quintessence sous des atours stylisés très travaillés. Portée par une implacable Meiko Kaji, transfuge de la Nikkatsu, le succès des quatre premiers LA FEMME SCORPION ne peut laisser insensible la firme qui s’est spécialisée depuis 1971 dans le Roman porno. Pourtant, le WIP restera toujours un genre marginal au sein de la Nikkatsu. Quelques films dilués dans l’immensité de sa production érotique. Cependant, il n’est pas anodin de relever l’époque de leur production. La Nikkatsu lance en 1975 la série des TRUE STORY OF A WOMAN CONDEMNED, suivi en 1978 par WOMEN PRISON, à la fois comme réponses à LA FEMME SCORPION mais aussi pour s’inscrire dans le mouvement de durcissement de l’érotisme que la Nikkatsu décide dans la seconde moitié des ’70. Quatre ans après ses premiers Roman porno, la Nikkatsu cherche donc à renouveler ses thèmes et emprunte une voie balisée avant elle par les Violent pink concurrents.

Un dernier WIP sera encore produit en 1987, WOMEN IN HEAT BEHIND BARS, qui signale alors la fin toute proche du Roman porno qui décèdera en tant que système de productions quelques mois plus tard.

Mais auparavant, la Nikkatsu aura donc encore produit en 1983 ce FEMALE PRISONER : CAGED. Et cette date n’est pas innocente. L’année précédente voit en effet le début de la diffusion massive d’un concurrent nouveau, les « Adult vidéo » (AV), càd les direct-to-vidéo pornographiques ne répondant pas aux mêmes critères de censures que les productions destinées aux salles. Il faut se souvenir que la production des Roman porno a été décidée pour éviter en 1971 la faillite de la Nikkatsu suite à la désaffection du public des salles au profit de la télévision. L’érotisme ne pouvant envahir le petit écran, le Roman porno permettait de stabiliser le public des salles. Mais la donne change dès l’apparition des AV. Dorénavant, l’érotisme ne doit plus se découvrir en salle, il peut se consommer à la maison, et qui plus est, de façon plus explicite. La Nikkatsu va alors chercher à repositionner ses productions destinées aux salles, diminuant les budgets et les ambitions filmiques, durcissant à nouveau les thèmes et cherchant à montrer plus lors de l’acte sexuel. Mais la partie se révélera plus ardue qu’en 1971 et la Nikkatsu baissera les bras en 1988, vaincue par les AV, mais aussi par la censure qui, par retour de balancier, renforcera ses positions dès 1984.

Ce FEMALE PRISONER : CAGED est porteur des hésitations de son époque. On y voit tant la recherche d’un équilibre entre le désir de montrer plus et les limites imposées par une censure qui n’entend pas désarmer, entre les ambitions narratives ou visuelles réduites et les thèmes d’auteurs. Et l’ensemble nous livre un résultat inégal et, disons-le, peu abouti.

A sa décharge, il faut dire qu’on en attendait beaucoup. Trop sans doute. Voir l’auteur de LA VIE SECRÈTE DE MADAME YOSHINO, UNE FEMME À SACRIFIER et surtout FLEUR SECRÈTE (aka VICES ET SUPPLICES ou encore FLOWER AND SNAKE) s’introduire dans l’univers très balisés du film de femmes en prisons aiguisait notre curiosité. Las, Masaru Konuma a ici clairement branché le pilote automatique et se fiche comme d’une guigne de son film qui se contente alors de dérouler les poncifs du genre (le catfight entre la rebelle et la caïd, le sadisme d’une directrice manipulatrice, le prêtre – en lieu et place du médecin – qui abuse des prisonnières, les punitions collectives, etc). La photographie passe-partout, pourtant signée par Shohei Ando qui a officié sur de nombreux classiques du Roman porno, est à hauteur d’un film sans style ni recherche de mise en scène, au point que certaines scènes semblent même mal cadrées. On désespère du manque total d’icônisation des personnages et des situations. Le résultat est très nettement plus proche d’un Jess Franco des années ’70 que du Shunya Ito qui illumine LA FEMME SCORPION. Le casting se « distingue » par son atonalité, de toute manière desservi par une intrigue évanescente. Si on convient que cette dernière n’a jamais été le point fort des WIP, ça reste quand même gênant dans une production Nikkatsu. Comparée à l’inévitable FEMME SCORPION, la tonalité tranche à nouveau en défaveur de FEMALE PRISONER : CAGED : à l’impitoyable froideur du premier répondent l’ambiance bien trop décontractée de cette prison qui ressemble in fine bien plus à un internat, voire à un camp scout. Après tout, ne suffit-il pas à une vingtaine de prisonnières guillerettes d’escalader un simple grillage pour batifoler avec des ouvriers ? Les gardiennes, pas bien méchantes, ne sont tout de même presque jamais là. La plupart du temps, les prisonnières se baladent tranquillement dans l’établissement.

Aussi est-on soulagé de voir l’auteur de VICES ET SÉVICES et de tant d’autres adaptations d’Oniroku Dan quitter en fin de métrage ce WIP délétère pour retrouver son univers de prédilection du SM et du shibari, le temps d’une séquence de punition de Masayo. A ce moment réapparaissent comme par miracle un semblant de mise en scène et de regard d’auteur. Tant qu’à frayer avec l’invraisemblable et le fantasme, autant se centrer sur ceux portés par l’image.

On a parlé des compositions à trouver entre la volonté – la nécessité même – de montrer plus et les limites de la censure. Elles s’expriment particulièrement bien ici : seule une scène est pixelisée, pour un coït pourtant assez anodin entre Masayo et son amant au parloir. D’autres séquences, tout en gardant poils et parties intimes hors de l’image, passent le cap des censeurs. Mais on remarque surtout la fétichisation des fluides corporels : salive et sueur omniprésentes des corps composent avec deux scènes montrant très explicitement du sperme (truqué, comme on peut s’en douter) qui n’ont pas fait broncher le censeur japonais. En outre, deux séquences d’urolagnie nous rappellent en outre que Konuma œuvre habituellement dans le registre du SM, qui s’accorde particulièrement du concept de honte qui imprègne l’érotisme japonais. Au plan plus symbolique, on retrouve un personnage de prêtre catholique pervers. Un type de personnages récurrent dans le cinéma érotique japonais, spécialement dans celui de Shogoro Nishimura, collègue de Konuma, notamment pour deux suites de FLOWER AND SNAKE.

FEMALE PRISONER : CAGED évite heureusement les longueurs en ramenant les péripéties de ses protagonistes à une heure et huit minutes à peine. Cette très courte durée pourrait s’expliquer par le fait que nombre de Roman porno étaient exploités en salle en triple programme.

Au final, FEMALE PRISONER : CAGED pourra susciter la curiosité de l’amateur de WIP lambda, genre qui aura connu bien plus de productions routinières que de réussites, mais décevra les inconditionnels de Roman porno et les connaisseurs de Masuru Konuma.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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