Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1965 - Mario Caiano
Titres alternatifs : Amanti d'oltretomba, Nightmare castle
Interprètes : Barbara Steele, Paul Muller, Helga Liné, Marino Masé

retrospective

Les amants d’outre-tombe

Quelque part en Angleterre dans les années 1870. Dans sa magnifique et immense demeure, le docteur Arrowsmith s’adonne à des expériences secrètes sur le sang humain. Son épouse Muriel qui se sent délaissée a pris comme amant David, le jardinier de la propriété. Lorsque le savant surprend les adultères, il les fait prisonniers et les torture pendant plusieurs jours. Il finit par les tuer en les électrocutant, les vide de leur sang, les brûle et récupère leur cœur qu’il conserve dans un liquide au fond d’un vase ! Peu après, Arrowsmith découvre que sa défunte épouse a légué sa fortune à sa demi-sœur Jenny, une femme fragile qui ressemble trait pour trait à Muriel. Le savant fou décide de l’épouser et de lui faire perdre la raison grâce à des substances hallucinogènes mais la jeune femme, qui n’a pas encore été droguée, perçoit la nuit d’assourdissants battements de cœur et semble être en communication avec l’esprit vengeur de Muriel !

Artisan plutôt discret du cinéma populaire italien, Mario Caiano en aura suivi, souvent avec brio, les principaux cycles : le péplum (le solide ULYSSE CONTRE HERCULE, 1962), le film d’aventures (le sympathique ERIK LE VIKING, 1965), le western (UN TRAIN POUR DURANGO, 1968), le giallo (l’étonnant L’ŒIL DU LABYRINTHE, 1972) ou le polar violent (ASSAUT SUR LA VILLE, 1977). LES AMANTS D’OUTRE-TOMBE est son unique incursion au sein du fantastique-gothique, un genre qui en cette année 1965 allait encore offrir un excellent UN ANGE POUR SATAN (de Camillo Mastrocinque) avant de disparaître l’année suivante en produisant deux véritables joyaux, LES NUITS DE L’EPOUVANTE d’Emilio Scardamaglia et OPERATION PEUR de Mario Bava.
Celle qui restera l’égérie incontestée de l’épouvante à l’italienne, la britannique Barbara Steele, acceptera (de très mauvaise grâce selon les dires de Mario Caiano) ce nouveau double rôle-titre dans un registre qu’elle ne supportait plus et pour lequel elle ne fera ensuite que de petites apparitions (LA MAISON ENSORCELEE de Vernon Sewell, 1968). Quelle regrettable erreur…Celle qui interprétait avec tant de conviction et de magnétisme une épouse meurtrière dans LE SPECTRE DU PROFESSEUR HICHCOCK de Riccardo Freda (1962) eût été une inoubliable héroïne de giallo dans les années 70 !

A une période où le fantastique transalpin semble avoir épuisé ses formes, oscillant entre des titres plutôt médiocres (LE CHATEAU DES MORTS-VIVANTS de Luciano Ricci, 1964) et des films joyeusement parodiques (l’ineffable VIERGES POUR LE BOURREAU de Massimo Pupillo, 1965), LES AMANTS D’OUTRE-TOMBE fait figure d’œuvre ultime et classique, convoquant l’essentiel des éléments thématiques et formels des pièces-maîtresses dont elle s’inspire sans pour autant les plagier servilement. C’est ainsi que l’amateur sera confronté avec délices aux topos majeurs du genre de l’épouvante gothique : savant fou, magie noire, résurrection, réincarnation, vengeance de l’au-delà, maison hantée, spectres…sans pour autant avoir le sentiment d’avoir affaire à une sorte de compilation plus ou moins adroite ou à un film « fourre-tout ». En effet, leur traitement se fait presque toujours par une approche originale et peu orthodoxe dont la finalité serait de rendre poreuse toute idée de frontière, que ce soit entre les êtres, les espaces ou les notions. Ainsi par exemple, le personnage de Jenny semble ne faire qu’un avec celui de la défunte Muriel, le corps de la première paraissant habité par l’esprit de la seconde. La blondeur et la pureté de Jenny viendront fusionner de façon harmonieuse avec l’âme meurtrière de sa demi-sœur brune ; les deux femmes, à la fois doubles et complémentaires sont bien sûr interprétées par une Barbara Steele au sommet de son art. L’abolition des frontières est également prégnante en ce qui concerne les différents espaces, qu’ils soient physiques (le demeure victorienne des Arrowsmith dont l’immensité apparaît sans limite grâce à l’utilisation de contre-plongées vertigineuses, de plans très larges favorisant la profondeur de champ et l’absence de cadres fermés) ou temporels : une simple transfusion effectuée par le docteur sur sa gouvernante âgée permet à cette dernière de retrouver une pleine jeunesse, sous les traits avantageux de l’actrice Helga Liné (KRIMINAL de Umberto Lenzi, 1966). Mais la porosité est surtout frappante à travers la confusion que le film opère entre l’univers des morts et celui des vivants, entre ce qui relève du rêve et ce qui provient de la réalité, entre ce qui touche à la passion amoureuse et ce qui tient de la pure perversion…

La richesse thématique du long-métrage de Mario Caiano est en partie due au fait que le réalisateur puise son influence au sein de plusieurs sources fantastiques-gothiques, littéraires, cinématographiques et picturales. Si l’esprit d’Edgar Poe et nombre de motifs de ses contes infusent LES AMANTS D’OUTRE-TOMBE, on décèle aussi dans le portrait et la « philosophie » du docteur Arrowsmith, d’évidentes composantes sadiennes. On trouve par ailleurs des traces filmiques d’œuvres incontournables comme L’EFFROYABLE SECRET DU DOCTEUR HICHCOCK (Riccardo Freda, 1962) ou DANSE MACABRE (Antonio Margheriti, 1964) toutes deux interprétées par la « dark lady » et toutes deux fortement imprégnées de l’univers de l’auteur des « Histoires extraordinaires ». Quant aux références à l’art pictural, elles parsèment le métrage par le biais de cadres mettant en avant les postures souvent hiératiques des personnages ou les amorces sur des objets lourdement symboliques (un portrait de Muriel, un crâne humain, une plante carnivore…). Une magnifique séquence onirique au cours de laquelle Jenny rêve qu’elle est agressée par un homme dont le visage est couvert d’un voile blanc est une subtile citation du célèbre tableau de Magritte, « Les amants ».

A l’instar de nombreux opus italiens du genre, LES AMANTS D’OUTRE-TOMBE est filmé dans un magnifique noir et blanc que Mario Caiano aurait voulu accompagner de séquences où le rouge du sang serait apparu sous sa vraie couleur. Abandonné car trop coûteux, ce procédé en bichromie témoigne de la volonté d’un véritable esthète, d’un artiste qui, bien plus que de rendre hommage à certains illustres confrères, est parvenu à engendrer une œuvre maniériste fortement iconique et parfaitement fétichiste, ne serait-ce que dans sa façon de filmer celle qui avait déjà l’aura d’une figure mythique. L’audace avec laquelle LES AMANTS D’OUTRE-TOMBE utilise dans son premier tiers une imagerie pleine d’érotisme sadique (les amants enchaînés dans la crypte puis torturés dans la chambre) et propose, lors de son finale, des images très graphiques figurant les deux spectres des amoureux horriblement défigurés demeure intacte près d’un demi-siècle après sa conception. Macabre au plus au point, sulfureux, empreint de poésie et de romantisme noir, très abouti formellement et thématiquement, remarquablement incarné par ses interprètes, LES AMANTS D’OUTRE-TOMBE, plus qu’un chef d’œuvre du gothique italien, en constitue son chant du cygne et son film-somme. A voir et à revoir encore…


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

- Ses films préférés :


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link